27. ELLE
IL et ELLE courent se cacher dans les branches hautes. Ils font l’amour de face dans des équilibres instables. Les branches craquent. Les feuilles s’agitent. Après la jouissance, ils ébauchent les prémices du rire. Ils sont conscients de s’être livrés à quelque chose de nouveau.
Ils redescendent. Sautent. Jouent.
Refont l’amour.
Normalement, la saillie d’un mâle dure quelques minutes à peine mais lui, par une perversion encore inédite, se plaît à essayer de la faire durer plus longtemps. Ce qui agace ELLE, puis l’amuse. Ils ont l’impression d’être les premiers à faire ça.
Comme ELLE persiste à se tenir debout, IL ne peut même pas voir si elle est en chaleur. Tout ce qu’il en voit, c’est sa poitrine.
Avant, se dit IL, la zone attirante, c’était le sexe parce qu’on l’apercevait bien turgescent par l’arrière lorsque la femelle était à quatre pattes, mais quand elle se tient debout, seuls ses tétons-durcis signalent sa demande. Est-ce une évolution ?
Ils refont l’amour. A s’en rendre ivres.
IL comprend que toutes les femelles sont insatiables. La notion de pudeur n’a pas encore été inventée pour les réfrèner.
Après la cinquième saillie, se sentant un peu fatigués, ils gambadent dans les broussailles. Ils effraient des grenouilles dans une flaque. Ensemble ils attaquent une ruche et ELLE lui confie le secret de la capture du miel. Il est possible de récupérer le miel en s’emparant de la ruche tout entière pour la jeter rapidement dans une flaque d’eau. Mais il faut se dépêcher, sinon les abeilles ont le temps de se rebiffer.
En échange, IL lui confie le secret de la dégustation des termites. Il suffit d’enfoncer un bâton dans le trou et d’en ramener une brochette recouverte de soldats. Il n’y a plus alors qu’à sucer le bâton.
Dans la horde, leur bonheur trop visible énerve. Eux s’en fichent.
Après la sixième saillie, ELLE lui frotte le nez. IL se sent pour la première fois lié à un autre être. IL a envie de lui faire un truc étrange. IL lui touche la bouche avec sa bouche. ELLE recule, dégoûtée, et lui propose de nouveau son sexe pour faire l’amour « normalement ». IL insiste. Les fourmis le font bien. Les fourmis se touchent la bouche et régurgitent même de la nourriture. IL lui fait comprendre qu’il l’a observé. ELLE se laisse embrasser sur la bouche, mais refuse qu’il lui régurgite de la nourriture. A la limite, tant qu’il a sa bouche près de la sienne, elle lui propose de la débarrasser des puces qu’elle a autour des lèvres.
A ce moment, surgit le nouveau chef de horde. Le regard que lui décoche le chef est sans équivoque. Il fait comprendre à IL que, maintenant, il a suffisamment nargué le groupe. Il y a des plaintes. On a le droit d’être heureux, mais pas à ce point et pas de manière aussi visible. Leur idylle est un frein au bon fonctionnement de la horde. Elle crée une tension sociale.
De plus, le nouveau chef de horde n’aime pas leurs contacts buccaux. Ça a l’air sale. Il n’aime pas non plus ces longues pertes de temps, ces jeux qui précèdent leurs accouplements. Il n’aime pas les voir faire l’amour de face.
Le nouveau chef de horde se fait menaçant.
IL montre ses incisives en relevant les babines et hausse le cou pour faire comprendre à son chef que sa vie privée ne le regarde pas. Le chef de horde hésite à se battre puis, soudain, se désintéresse et secoue la tête comme pour dire « après tout, ils font ce qu’ils veulent ».
C’est peut-être sa première décision sage en tant que nouveau chef de horde. Intuitivement, il a compris quelque chose d’important. Il le sait, il le sent, il en est sûr. Il n’a pas besoin de sévir sur-le-champ. Il peut attendre, il a le temps. Ce qu’il vient de comprendre se résume à une idée : « De toute façon, les histoires d’amour finissent mal, en général. »